Il en va des cinéastes comme des anthropologues, pour qui le voyage ne sert souvent, une fois sur place, qu’à observer la distance irrémédiable qui sépare de ce qui est radicalement autre ; le Japon, souvent terre d’élection pour ces dépaysements, aura vu s’y essayer Kiarostami – Like Someone in love, son dernier et l’un des plus beau –, Coppola et surtout Wenders : récemment pour une fiction, Perfect days, et bien avant pour un documentaire sur Ozu, Tokyo-ga.
Aussi c’est peut-être avec ce dernier que Guillaume Senez entretient la plus grande filiation : on y suit le parcours de familles contrariées et surtout, comme dans les deux autres films du réalisateur, la mise en scène d’une paternité dans des circonstances exceptionnelles. Ici donc le parcours parallèle de Jay (Romain Duris) et de sa sœur Jessica (Judith Chemla) qui ont tous deux perdu un enfant au Japon, chacun ayant été emportés après la séparation par leur partenaire japonais ; une loi permettant à un seul parent d’en assumer la garde, et ce jusqu’à poser l’interdiction pour l’autre parent de revoir l’enfant.
Le sentiment d’impuissance face à une loi et une disparition arbitraire se joint donc à l’examen de cette distance qui sépare Jay, et par là le film, de la société japonaise ; il a beau s’y fondre, en adopter parfaitement les codes et la langue après y avoir implanté sa vie dans l’espoir de retrouver sa fille, que Jay restera toujours aux yeux de la loi étranger à ce pays et donc à sa fille.
C’est seulement par un coup de chance que sa fille entre dans le taxi qu’il conduit à travers Tokyo et lui donne l’occasion, quand elle ne le soupçonne pas être son père, de renouer avec elle chaque matin lorsqu’il l’emmène à l’école - celle-ci s’est foulée la cheville.
Le récit construit alors patiemment cette histoire de rémission, examine les recours et possibilités de combler la distance et l’absence ; la caméra derrière Jay, on espère voir rétablie l’injustice comme on sent, au plus près, l’émotion d’un père refusé par une loi arbitraire, ce que Senez a toujours su faire. Ainsi va le film, évoquant par instants Ozu et Kore-Eda, sans jamais sous-estimer la douleur d’une vie brisée pour le lieu d’une naissance ; reste alors le répit que la maison cinéma convoquée par Senez apporte face au monde.